Mardi 18 avril 2023

Découvrez le nouvel article de Marie Asma Ben-Othmen et Marie-Pierre Bruyant, respectivement Enseignante-chercheuse Responsable du Master of Science Urban Agriculture & Green Cities, et Enseignante-chercheuse en Sciences Végétales, pour The Conversation.

Le nouveau grand défi des villes qui se veulent durables, écologiques et résilientes est de concilier deux mondes, agricole et urbain. Même si tout semble séparer ces formes d’espace, l’agriculture et la ville sont davantage pensées ensemble dans les modèles de développement urbain moderne, intégré et durable.

Des démarches sont ainsi déjà à l’œuvre pour renforcer la fonction alimentaire des sols urbains, selon une logique de retour à une production végétale au plus près des lieux de consommation en ville. Les sols urbains présentent cependant des surprises : il faut s’assurer de leur qualité et de l’absence de contaminants avant d’oser les cultiver et y produire des végétaux en pleine terre.

Il faut aussi faire taire les idées reçues selon lesquelles sol urbain rime avec sol pollué. Ceci est parfois le cas, mais pas toujours !

Malgré son lourd passé industriel (pétrochimie), la Métropole Rouen Normandie s’est engagée pour une agriculture durable et de proximité. Elle a initié une politique ambitieuse de transition de l’agriculture et des systèmes alimentaires, notamment au travers de son Projet alimentaire territorial.

L’agriculture urbaine fait partie intégrante de cette réflexion avec un objectif de multiplier les lieux où elle se pratique selon une diversité de formes, de systèmes techniques et de modèles économiques : ferme pédagogique, micro-ferme multifonctionnelle ou productive, jardins partagés, maraîchage, éco-pâturage, ruches, etc.
 

Une ferme urbaine de la fourche à la fourchette

Parmi ces initiatives, la ferme citoyenne, pédagogique et en agroécologie du Champ des Bruyères excelle dans l’expérimentation et la transmission du savoir-faire et des valeurs d’un système alimentaire de la fourche à la fourchette. Ancien hippodrome, le site a été métamorphosé par un effort conjoint entre la métropole et l’association du Champ des Possibles pour offrir aux habitants un écrin de verdure où il fait bon flâner.

Installée sur une parcelle de 2 hectares, la ferme s’est dotée de multiples dispositifs de production : serre, jardins partagés, potager, vergers, etc, et offre des opportunités d’approvisionnement en fruits et légumes frais cultivés en pleine terre. Aujourd’hui, l’enjeu pour cette ferme n’est de produire pour vendre mais de faire de la pédagogie autour de la transition alimentaire avec deux axes majeurs : jardiner et cuisiner.

 

Fourni par l'auteur

Il s’agit davantage d’encourager et de sensibiliser à l’autoproduction et le jardinage urbain, ce qui est différent de la pratique du maraîchage comme pratiqué par l’association à ses débuts sur le site de Repainville.

Même si le sol et tous les services écosystémiques qu’il rend occupent une place privilégiée dans ce projet, ils n’ont hélas pas été suffisamment pensés lors de la phase de conception de ce dernier. Nous avons donc proposé, dans le cadre du cursus du Master of Science Urban Agriculture and Green Cities, d’accompagner l’association dans la démarche d’analyse et de compréhension du potentiel du sol de la ferme urbaine.

 

Décortiquer la composition des sols

Il s’est agi d’abord de définir des points de prélèvements, de façon à quadriller l’ensemble de la parcelle en tenant compte de l’historique de ces sols, notamment leur provenance (terre agricole apportée lors du démarrage des cultures), les différents amendements ainsi que les précédents culturaux. Il fallait aussi tenir compte des deux agrosystèmes pratiqués en pleine terre : sous abri ou en plein air.

Cinq prélèvements de sol ont ainsi été analysés pour leurs propriétés physico-chimiques et leurs activités biologiques. La physico-chimie a été déterminée selon un protocole très simplifié et facilement reproductible par les membres de l’association conviés aux séances d’analyse au laboratoire d’UniLaSalle Campus de Rouen.

 


Fourni par l'auteur

Les propriétés physicochimiques du sol (pH, granulométrie par sédimentation, détermination de la matière organique et du carbonate de calcium et détermination de la capacité d’échange cationique) ont été mesurées. Les composants biologiques du sol en interaction avec les plantes (colonisation endomycorhizienne des racines, symbiose rhizobienne et abondance des vers de terre) ont aussi été mis en évidence.

 

Un pH un peu élevé

Tous les sols se sont révélés argileux et très sablonneux. Cette présence de sable en quantité non négligeable est un premier indicateur que la terre n’est pas optimale pour la culture. La nature drainante de ce type de sol limite en effet la rétention de l’eau de pluie ou d’irrigation, ce qui génère un gaspillage des ressources en eaux. Le choix du sol agricole lors de la phase de mise en place du projet n’a donc pas tenu compte des propriétés de cette texture.

Deuxième indicateur de la qualité des sols, la mesure du pH. Les résultats se sont révélés peu homogènes avec une tendance d’un pH plutôt élevé – supérieur à 7. La majorité des prélèvements ne montre pas de présence de calcaire, sauf dans la parcelle du verger (avec le pH le plus élevé). Un pH trop élevé complique la culture en réduisant les échanges ioniques et, en conséquence, les chances de l’établissement de la vie du sol.

En ce qui concerne la capacité d’échange cationique, elle a été mesurée en utilisant le bleu de méthylène. Cette mesure plutôt favorable n’est toutefois pas optimale pour encourager les échanges de nutriments du sol vers la plante, en raison du pH.

 

De la vie dans les sols

Quant à la présence de la matière organique, elle a été mesurée en utilisant de l’eau oxygénée. Les parcelles étudiées ont révélé la présence de quantités variables de matière organique. Ceci peut être expliqué par les différents amendements organiques apportés au démarrage de l’activité de la ferme.

La composante biologique est révélée par l’existence de champignons autour des plantes et par l’existence de bactéries abritées dans des nodules. Malheureusement, lors des prélèvements, la sécheresse du sol n’a pas permis de vérifier la présence de vers de terre.

En ce qui concerne la composante fongique, nous n’avons pas observé de mycorhizes, mais nous retrouvons des vésicules et des hyphes qui sont autant de marqueurs de l’établissement d’une vie biologique du sol bénéfique pour la plante.

Quant à la composante bactérienne, elle a été observée à partir de racines de fabacées implantées dans l’ensemble des parcelles. De nombreux nodules ont été mis en évidence dénotant une activité bactérienne intense permettant la fixation de l’azote atmosphérique par les plantes : un plus pour les plantes et le sol.

 

Des sols prometteurs à améliorer

Cultiver des sols urbains demeure à ce jour une aventure dont les conditions de réussite résident dans la prise en compte de la dimension « sol ». Même si l’adage sol urbain rime réellement avec sol pollué, nombre d’entre eux demeurent d’excellents supports de culture à condition de les observer, de les analyser et de les améliorer.

L’analyse détaillée plus haut permet de tirer certaines conclusions sur leur état à la ferme des Bruyères. Le sol est effectivement très drainant, les paramètres physico-chimiques ne sont pas extrêmes et peuvent être améliorés (plantation d’arbre, amendement organique, semis de trèfle, moutarde, éviter le travail du sol et la dispersion de la composante biologique, etc.).

La texture sablonneuse du sol renforce enfin un autre problème structurel de la ferme pédagogique, qui est celui de l’accès à l’eau. Même si la récupération d’eaux de pluie est déjà en place, elle ne suffit pas compte tenu de la texture du sol. Avoir recours à l’eau potable du réseau pour l’arrosage pose de sérieuses questions éthiques.

Dans ce dispositif joli et ingénieux, des fruits et légumes poussent d’ores et déjà et trouvent une demande de la part de consommateurs motivés par la composante locale et environnementale de ces produits. Cette expérimentation constitue un point de départ, qu’il faudra poursuivre pour mesurer les effets à court, moyen et long terme des pratiques d’amélioration du sol.The Conversation

Marie Asma Ben-Othmen, Enseignante-chercheuse Responsable du Master of Science Urban Agriculture & Green Cities, UniLaSalle et Marie-Pierre Bruyant, Sciences végétales, UniLaSalle

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.