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Thursday 28 September 2023

Découvrez le nouvel article de Guillemette Garry et Sara Hoummady, respectivement Enseignante chercheuse, Dr en biologie option phytopathologie et Associate professor in ethology and animal nutrition pour The Conversation.

S’il est un « procès » qui passionne les réseaux sociaux et les communautés cynophiles depuis quelques années c’est bien celui des céréales dans l’alimentation canine et notamment dans la composition des croquettes et les reportages se multiplient sur le sujet.

Les chefs d’accusation sont nombreux : leur présence provoquerait ballonnements, gaz, diarrhées, diabète, obésité, intolérances au gluten et présence de mycotoxines (toxines produites par des champignons microscopiques). En quelques années, le marché des aliments secs pour chiens s’est remarquablement adapté à cette peur des céréales. De nombreuses marques affirment avoir éliminé les céréales de leur formulation et leurs mérites vantés sur les réseaux sociaux. Mais les céréales de leur alimentation sont-elles vraiment néfastes pour nos chiens domestiques ?

 

Coupables présumées à la barre : les céréales !

Derrière la notion de céréale résident plusieurs notions qui sont bien souvent confuses pour le consommateur : glucides, gluten, mycotoxines…

Une céréale est une plante herbacée cultivée principalement pour la valeur nutritive de ses grains. Il s’agit quasi exclusivement de plantes de la famille des Poacées plus communément nommées Graminées. Les plus connues, et aussi les plus cultivées dans le monde sont le blé, le maïs, le riz ou l’orge. Un grain de blé contient en moyenne 70 % d’amidon (glucide complexe). Le gluten quant à lui désigne un ensemble de protéines contenues dans les graines des céréales du groupe des Poacées.

 

Chef d’accusation n°1 : ne pas respecter le régime « naturel » du chien

Le 1ᵉʳ méfait reproché aux aliments contenant des céréales est de ne pas respecter le régime alimentaire naturel du chien. Pour comprendre plus précisément à quoi correspondrait le régime « naturel » du chien, deux approches peuvent être envisagées : s’intéresser au chien préhistorique ou aux chiens féraux (individus d’espèces domestiquées qui n’ont peu ou pas de dépendance à l’humain).

La découverte de restes de canidés dans des tombes de différents sites du nord-est de la péninsule ibérique, datant d’entre la fin du IIIe et le IIe millénaire avant J.-C. dans un contexte d’âge du bronze précoce-moyen, a pu mettre en évidence que l’alimentation des chiens était assez similaire à celle des humains et contenaient des céréales dans certains cas.

Chien féral dans un village chinois

Chien féral dans un village chinois.

Sara Hoummady, Fourni par l'auteur

L’alimentation des chiens féraux, de son côté, est aussi majoritairement basée sur les déchets humains, avec majoritairement des céréales et des selles humaines.

Les données se rejoignent donc : l’alimentation historique du chien depuis la préhistoire est donc constituée de restes d’alimentation humaine (dont des fèces) contenant dans certain cas, des céréales et, ce qui est bien différent de l’image d’Épinal que l’on se fait du régime « naturel » du chien (souvent représenté comme chassant, comme un loup dans la nature).

 

Chef d’accusation n°2 : forcer les chiens à manger de l’amidon qu’ils ne digèrent pas

Contrairement aux idées reçues, le chien possède un peu d’alpha-amylase salivaire (une enzyme qui permet d’initier le processus de dégradation de l’amidon) et des capacités de digestion de l’amidon. Lors de la domestication, certains gènes jouant un rôle essentiel pour la digestion de l’amidon ont été sélectionnés. Au fil du temps et de la sélection associée à la création de races, le nombre de copies du gène codant la fabrication des enzymes de digestion de l’amidon a augmenté en fonction des habitudes alimentaires des races. Le chien est donc capable de digérer l’amidon, même si toutes les races ne sont pas forcément égales.

Bien que le chien puisse survivre sans « amidon », sa présence reste nécessaire dans certaines conditions physiologiques comme la gestation et la lactation.

 

Chef d’accusation n°3 : rendre malades les chiens avec du gluten

La consommation des produits dérivés du gluten peut entraîner des réactions dont 3 catégories peuvent être identifiées : Les réactions allergiques, auto-immunes et autres réactions.

Chez le chien, la relation entre gluten et maladie intestinale est étudiée chez le Setter irlandais depuis environ 20 ans, mais à l’heure actuelle, la relation entre gluten et problèmes digestifs chez cette race n’est pas clairement établie. Chez le Border Terrier, une association entre gluten et dyskinésie paroxystique (tremblements involontaires épisodiques) a pu être relevée. À l’heure actuelle, ce sont donc les deux seuls rapports de pathologies qui pourraient être associées à la présence de gluten.

Dans ce cadre, un régime d’éviction pourra être envisagé pour tester la sensibilité du chien.

 

Chef d’accusation n°4 : intoxiquer les chiens avec des mycotoxines

Les mycotoxines sont des toxines produites par des champignons microscopiques lors de la croissance de la plante, son stockage, son transport ou encore ses transformations. Ces dernières peuvent être présentes dans les différents organes de la plante dont les grains, les fruits mais aussi tubercules.

La plus fréquente en alimentation animale est l’alfatoxine B1, présente notamment dans les grains de blé. Chez l’humain comme l’animal, les mycotoxines peuvent être à l’origine de divers problèmes de santé (toxicité pour le foie, les reins…). Néanmoins, des méthodes de contrôle sont mises en place à la récolte et l’industrie agroalimentaire utilise par ailleurs des méthodes de détoxification. En général, les moisissures ne se développent pas sur des aliments convenablement séchés et conservés, de sorte qu’un séchage efficace et le maintien en état déshydraté ou un entreposage correct sont des mesures efficaces contre les moisissures et la production de mycotoxines.

Le taux total en aflatoxine serait en général supérieur pour les aliments pour chiens dits « économiques » comparés à ceux de la classe « premium ». Cette différence peut en partie s’expliquer entre autres par l’utilisation de produits à moindres coûts ayant des conditions de stockages moins contrôlés.

La source de nutriments d’origine animale constitue aussi un facteur à prendre en considération, avec des variations des taux en fonction de la source des protéines animales.

 

Les aliments sans céréales sont-ils plus sains ?

Les aliments sans céréales ne sont pas toujours dépourvus d’amidon mais les protéagineux présentent des taux plus faibles en glucides que les céréales. C’est pour cette raison qu’elles intéressent l’industrie de l’alimentation animale. Ces plantes riches en protéines sont des plantes appartenant au groupe de Fabacées, telles que le pois, la féverole, la lentille ou le haricot.

Les graines de protéagineux contiennent un taux élevé de protéines de l’ordre de 20 à 35 %. La graine de pois contient par exemple 21 % de protéines mais aussi 45 % d’amidon.

L’amidon dans les aliments pour chien à basse teneur en glucide est souvent remplacé par des matières grasses. Cela peut ne pas être adapté à la situation de l’animal, notamment en cas de surpoids, d’obésité ou d’insuffisance rénale. Par ailleurs, un aliment sans céréale n’est pas forcément moins riche en glucides lorsque les compositions sont comparées.

Enfin, des études récentes ont rapporté des cas de maladies cardiaques (cardiomyopathie dilatée) chez des chiens consommant des aliments sans céréales, riches en légumineuses, et ce sans que cela soit lié à des races à risque de cette pathologie. Si actuellement, l’association entre aliment sans céréales et cardiomyopathie dilatée n’est pas encore claire, la prudence s’impose, notamment pour les aliments à base de pois comme le suggère une très récente étude.

 

Verdict : les céréales sont innocentes

Les accusations concernant les céréales ne sont pas aussi évidentes qu’elles y paraissent : le chien consomme des céréales depuis sa domestication, il a parfaitement développé les enzymes pour digérer l’amidon, le gluten n’est un problème que pour quelques individus de races peu répandues et les mycotoxines sont retrouvées dans tous les aliments mais leur quantité est très réglementée au moment des récoltes de grains et par l’industrie.

Finalement, choisir un aliment sans céréales, pour des chiens en bonne santé sans situation médicale particulière ne se justifie pas scientifiquement actuellement. L’accusé est donc déclaré : innocent !

Sara Hoummady, DMV, PhD, Associate professor in ethology and animal nutrition, UniLaSalle et Guillemette Garry, Enseignante chercheur, Dr en biologie option phytopathologie, UniLaSalle

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.